Alexandre Jeser     ESPACES DETERMINANTS     2000-2004

Correspondance
Jean-Claude Lemagny

"La métamorphose est profonde. Je sais qu'il est de la nature des chrysalides de se transformer en tout autre chose, mais pas à ce point ! J'avais aimé ces vitraux entomologiques, ces craquelures de lumière qui se multipliaient en facettes et rayons. Moments d'une fermentation cristalline. Et voici le grand large de la montagne. Quelle éclosion ! Non plus des espaces qui se redoublent sur eux-mêmes mais l'ouvrent.

Ces nouvelles images me semblent presque toujours dominées par une grande courbe. Ma préférée, l'entrée de la caverne, la montre manifestement. Mais cet orbe invisible se retrouve dans presque toutes les compositions, comme l'arche immense d'un pont céleste, voûté à l'infini.

Affronter la montagne fut toujours une rude épreuve pour la photographie. Entre les deux, il y a rupture d'échelle. Le résultat est souvent bien petit. On aboutit à des montagnes-bonzaï. Ici, la miniaturisation photographique avoue totalement son irréalisme. La pensée d'Emmanuel Kant se réalise sous nos yeux : nous passons de ce Beau équilibré qu'appelle le rigide cadrage photographique à une immensité qui nous dépasse, qui nous aspire et qui pourtant rejette notre dérisoire petitesse : le Sublime.

Miniaturisation et aplatissement. En général, le modelé des ombres, point fort de la photographie, nous ramène à une mosaïque de plaques grises et de plaques blanches. Les meilleurs photographes de la montagne savent assumer cet espace laminé.

Mais ici vous avez repoussé le problème. Avec une ironie glaciale - comme il convient au climat des hauteurs - vous n'avez pas tellement photographié la montagne, que l'hôtel venu se foutre devant. Ces nids de termites monstrueux miment les lignes des sommets environnants, avec la bonne volonté niaise d'une architecture soumise au rendement touristique. Alors l'image se dédouble. La vérité colossale de la géologie s'efface derrière des silos à touristes qu'un haussement d'épaule de la Terre suffirait à faire crouler.

Un Luigi Ghirri nous en aurait fait rire. Vous n'en pleurez pas, mais vous ressentez une majesté triste, au-delà de toute critique sociale, et une grandeur désabusée. Par la lente montée des lignes, par les couleurs subtilement grises d'une atmosphère glacée, un peu brumeuse, et très pure."

24 décembre 2004